C’est l'occasion aussi, pour beaucoup de monde, de découvrir que vivre à la rue c'est parfois un projet
Thierry MARMET
VOUS ET VOTRE PROJET
L’unité de soins palliatifs est hébergée dans un hôpital qui a une histoire assez particulière, car ayant toujours accueilli des gens en difficulté sociale, ce qui représentait le quart de notre activité. Nous étions tous assez choqués, mais aussi démunis par le fait que lorsque quelqu’un n’avait pas de famille, il allait être enterré dans l’indifférence totale. Nous essayions, à notre niveau, de faire un petit cérémonial lors de la levée du corps, mais ça se tenait à ça. En rencontrant l’association c’était évident pour nous que c’était ce qu’il fallait faire, que nous devions faire partie de cette démarche qui allait vraiment bien avec ce que nous faisions déjà sur l’unité de soins palliatifs.
Goutte de vies, c’est quelque chose d’assez symbolique, en ce sens que, une des traditions des gens de la rue quand quelqu’un décède, est de boire une bouteille à sa santé. Les premières gouttes de la bouteille sont jetées à la rue en son honneur et ensuite on partage ce qui reste en souvenir de lui. Cela peut se passer directement dans la rue, mais bien entendu, aussi au cimetière pendant la cérémonie de trépas. Leurs copains arrivent avec des boissons et la première bouteille qui est ouverte est en partie versée sur le cercueil.
Cette journée est organisée une fois par an à Toulouse, dans un square au bord de la Garonne. Toutes les personnes de la rue sont informées et peuvent venir. Il y a beaucoup de travailleurs sociaux. On informe aussi les politiques, mais il n’y a pas de prise de parole. La seule prise de parole est la lecture de la liste de tous ceux qui sont morts dans la rue depuis que l’association existe et ça commence à faire du monde. C’est un moment de solidarité pour la population toulousaine qui est invitée à venir rendre hommage à ceux qui, malheureusement, décèdent dans ces conditions et parfois dans un grand isolement.
Chaque année, une ou deux fois par an même, on va entretenir ces tombes, on les fleurie, on refait le tumulus, on met des allées autour, on plante des lavandes, on remet le numéro, le nom quand c’est possible. Ça fait partie de notre activité. Si les tombes ne sont pas entretenues, elles sont rapidement réaffectées. Le fait de les entretenir va permettre qu’elles soient conservées plus longtemps, et donc d’avoir plus de temps pour retrouver des proches ou des familles. Cette tâche est accomplie, entre autres avec des lycéens volontaires et des bénévoles bien-sûr.
Souvent c’est l’occasion pour beaucoup de monde de découvrir que vivre à la rue, c’est parfois un projet. C’est une manière d’être au monde, et ça crée les conditions de s’interroger sur notre manière d’être au monde aujourd’hui, très centrés sur nous-mêmes, très individualistes. Et c’est l’occasion souvent pour nous de stigmatiser la difficulté actuelle de notre société, qui perd pied par rapport à la question du lien social. Comment on doit être solidaire, comment on doit continuer à essayer de vivre ensemble, quelles que soient nos différences, quels que soient nos projets, quelle que soit notre altérité, et il y a là œuvre immense à faire.
Je suis d’autant plus heureux que je suis souvent sollicité par tous ces bénévoles, par toutes ces associations qui sont autour de nous, justement pour réfléchir à ce que nous faisons-là et à réfléchir sur nos attitudes face à la mort. A regarder ça d’un point de vue anthropologique, sociologique, pour moi, il y a là une clé pour l’avenir de la planète et l’avenir des hommes sur la planète.